LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 octobre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 431750 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et pour le syndicat français des artistes-interprètes CGT par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-816 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et des articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les parties requérantes par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrées le 18 octobre 2019 ;
- les observations en intervention présentées pour le syndicat indépendant des artistes-interprètes et pour l'union nationale des syndicats autonomes spectacle et communication par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21 octobre 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 novembre 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 23 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 septembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues :
« 1° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés ;
« 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ;
« 3° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement régional ou local ;
« 4° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ;
« 5° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à l'article L. 2232-9 ;
« 6° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.
« Cette procédure peut également être engagée pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives.
« Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion.
« Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective.
« Lorsque deux organisations professionnelles d'employeurs ou deux organisations syndicales de salariés représentées à cette commission proposent une autre branche de rattachement, par demande écrite et motivée, le ministre consulte à nouveau la commission dans un délai et selon des modalités fixés par décret.
« Une fois le nouvel avis rendu par la commission, le ministre peut prononcer la fusion ».
2. Le paragraphe V de l'article L. 2261-32 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :« Sauf dispositions contraires, un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du présent article ».
3. L'article L. 2261-33 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 ou en cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion ou le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes, sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs conventions collectives.
« Eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées pendant le délai mentionné au premier alinéa du présent article.
« À défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement s'appliquent ».
4. L'article L. 2261-34 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :« Jusqu'à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs qui suit la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 ou de la conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions préexistantes, sont admises à négocier les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion ou au regroupement.
« La même règle s'applique aux organisations syndicales de salariés.
« Les taux mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 2261-19 et à l'article L. 2232-6 sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du regroupement ».
5. Les parties requérantes, rejointes par les parties intervenantes, reprochent, en premier lieu, aux dispositions des premier et douzième alinéas du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail de permettre au ministre du travail d'imposer la fusion de branches professionnelles. Elles critiquent en outre certains des critères, prévus aux 1°, 2°, 3° et 5° et au huitième alinéa du même paragraphe I, caractérisant les situations dans lesquelles une telle fusion peut être prononcée. Ces critères sont relatifs à la faiblesse des effectifs salariés ou de l'activité conventionnelle de la branche, au champ d'application géographique de la convention de branche et à l'absence d'activité de la commission paritaire de branche, ainsi qu'au renforcement de la cohérence du champ d'application des conventions collectives. Elles reprochent également à ces dispositions, ainsi qu'à certaines dispositions du premier alinéa de l'article L. 2261-33, d'imposer aux organisations syndicales et patronales le périmètre de négociation de l'accord de remplacement appelé à se substituer aux anciennes conventions de branche, périmètre auquel les partenaires sociaux n'auraient pas le droit de déroger à l'avenir. Il résulterait de tous ces éléments une méconnaissance d'un « principe de liberté de la négociation collective », que les parties requérantes demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître, qui serait fondé sur le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatif au principe de participation des travailleurs et sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 protégeant la liberté contractuelle. Les dispositions relatives au critère tenant à la faiblesse de l'activité conventionnelle de la branche seraient, de surcroît, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ce même principe de liberté de la négociation collective.
6. En deuxième lieu, les parties requérantes et intervenantes reprochent à certaines dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail d'entraîner la dilution, au sein de la branche née de la fusion, de l'audience des organisations syndicales et patronales représentatives, ce qui diminuerait à court terme leur poids lors de la négociation de l'accord de remplacement, mais aussi, à plus long terme, leur capacité à maintenir leur représentativité lors des mesures d'audience ultérieures. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté de la négociation collective, de la liberté syndicale et de la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
7. En dernier lieu, les parties requérantes et intervenantes contestent le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, en ce qu'il prévoit, à défaut d'accord de remplacement conclu par les partenaires sociaux dans un délai de cinq ans à compter de la fusion des branches, l'application de plein droit de la convention de la branche de rattachement, au détriment des stipulations conventionnelles propres à la branche absorbée. Il en résulterait une méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues.
8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions suivantes du code du travail :
- le premier alinéa, les 1°, 2°, 3° et 5° et les huitième et douzième alinéas du paragraphe I de l'article L. 2261-32 ;
- les mots « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2261-33 ;
- le troisième alinéa du même article L. 2261-33 ;
- les mots « la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2261-34 ;
- les mots « de la fusion » figurant au troisième alinéa du même article L. 2261-34.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail :
9. Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Aux termes du huitième alinéa du même préambule : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».
10. En matière de négociation collective, la liberté contractuelle découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 4 de la Déclaration de 1789. Il est loisible au législateur d'y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
11. Selon l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.
12. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
13. Le paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail permet au ministre du travail d'engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche professionnelle avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues. En application des 1°, 2°, 3° et 5° de ce paragraphe I, cette procédure peut être engagée lorsque la branche à rattacher compte moins de cinq mille salariés, lorsqu'elle a une faible activité conventionnelle, lorsque son champ d'application géographique est uniquement régional ou local ou encore en l'absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation compétente dans cette branche. Cette procédure peut également être engagée, en vertu du huitième alinéa du même paragraphe I, « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives ».
14. Une fois la procédure engagée, un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations sur le projet de fusion. Le ministre du travail procède à la fusion après avis motivé de la commission nationale de la négociation collective, au sein de laquelle siègent notamment des représentants des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés. Si deux de ces organisations d'employeurs ou deux de ces organisations de salariés proposent une autre branche de rattachement, le ministre consulte à nouveau la commission. Une fois le nouvel avis rendu par la commission, le ministre peut prononcer la fusion, sans être lié par la proposition de rattachement à une autre branche.
15. En application du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs habilitées à négocier dans les branches fusionnées sont invitées à engager une négociation en vue de parvenir, dans un délai de cinq ans, à un accord remplaçant, par des stipulations communes, les stipulations des conventions collectives des branches fusionnées régissant des situations équivalentes.
16. Il résulte des dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail que, lorsque le ministre du travail prononce la fusion de branches professionnelles, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs qui souhaitent négocier un tel accord de remplacement sont, d'une part, contraintes de le faire dans le champ professionnel et géographique ainsi déterminé par le ministre et, d'autre part, tenues d'adopter des stipulations communes pour régir les situations équivalentes au sein de cette branche. Ce faisant, ces dispositions portent atteinte à la liberté contractuelle.
17. Toutefois, en premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que le législateur a estimé que la seule négociation collective laissée à l'initiative des partenaires sociaux ne suffisait pas à limiter l'éparpillement des branches professionnelles. En adoptant les dispositions contestées, il a entendu remédier à cet éparpillement, dans le but de renforcer le dialogue social au sein de ces branches et de leur permettre de disposer de moyens d'action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d'emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général.
18. En deuxième lieu, la procédure de fusion des branches ne peut être engagée qu'à certaines conditions. D'abord, elle ne peut concerner que des branches présentant des conditions sociales et économiques analogues. Ensuite, elle ne peut être engagée, sous le contrôle du juge administratif, qu'« eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration » des branches en cause. Enfin, la branche à rattacher doit être dans une situation répondant à l'un des critères fixés aux 1° à 6° du paragraphe I de l'article L. 2261-32. Or, les critères contestés sont en rapport avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. En effet, en visant, au 1°, les branches de moins de cinq mille salariés, le législateur a retenu un critère cohérent avec l'objectif de faire émerger des branches disposant d'une taille suffisante pour remplir leurs missions. De même, au 2°, le critère relatif à la faiblesse de l'activité conventionnelle au sein de la branche est le corollaire de l'objectif poursuivi de renforcement du dialogue social. Le législateur a précisé que cette faiblesse devait être appréciée au regard du nombre d'accords ou d'avenants conclus et du nombre de thèmes de négociation couverts par ces accords, de sorte qu'il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. En visant, au 3°, les branches dont le champ d'application est uniquement régional ou local, le législateur a retenu un critère cohérent avec le principe posé à l'article L. 2232-5-2 du code du travail selon lequel les branches ont un champ d'application national. En se fondant, au 5° de l'article L. 2261-32, sur l'absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, le législateur a fixé un critère témoignant de la faiblesse de la négociation collective au sein d'une branche.
19. En troisième lieu, la fusion des branches ne peut être prononcée par le ministre du travail sans que les organisations et personnes intéressées aient été préalablement invitées à faire connaître leurs observations. La commission nationale de la négociation collective doit, en outre, avoir rendu un avis motivé. Le ministre est tenu de la consulter une nouvelle fois si deux organisations d'employeurs ou de salariés qui y sont représentées proposent une autre branche de rattachement. La fusion ne peut alors intervenir qu'une fois ce nouvel avis rendu.
20. En quatrième lieu, si les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-33 prévoient que l'accord de remplacement négocié par les partenaires sociaux doit comporter des stipulations communes applicables aux situations équivalentes, ces dispositions ne font pas obstacle au maintien ou à l'adoption, notamment dans l'accord de remplacement, de stipulations spécifiques régissant des situations distinctes.
21. En dernier lieu, les effets de l'arrêté du ministre du travail prononçant la fusion et contraignant les partenaires sociaux cessent au terme du délai de cinq ans suivant la date de cette fusion. Ainsi, les dispositions contestées ne s'opposent pas à ce que, une fois que l'arrêté a produit tous ses effets, les partenaires sociaux révisent l'accord de remplacement ou, à défaut d'avoir conclu un tel accord, qu'ils révisent la convention collective de la branche de rattachement rendue applicable de plein droit, afin notamment de modifier les champs géographique ou professionnel de cet accord ou de cette convention.
22. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu du motif d'intérêt général poursuivi et des différentes conditions et garanties précitées, l'atteinte portée à la liberté contractuelle par le premier alinéa, les 1°, 2°, 3° et 5° et le douzième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 ainsi que par les mots « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2261-33, n'est pas disproportionnée. Le grief tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, de cette liberté doit donc être écarté.
23. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
24. En revanche, en prévoyant, au huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, que la procédure de fusion peut également être engagée « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives », le législateur n'a pas déterminé au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée. Il a ainsi laissé à l'autorité ministérielle une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion. Il a, ce faisant, méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle.
25. Le huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail :
26. Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, ainsi que, s'agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
27. En application du troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, à défaut de conclusion d'un accord de remplacement dans le délai de cinq ans suivant la date d'effet de la fusion, seules s'appliquent dans la branche issue de cette fusion les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement.
28. Ainsi, en mettant fin de plein droit à l'application de la convention collective de la branche rattachée, ces dispositions portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.
29. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, en cas d'absence ou d'échec de la négociation collective à l'issue du délai qu'il a imparti aux partenaires sociaux, assurer l'effectivité de la fusion, en soumettant les salariés et les entreprises de la nouvelle branche à un statut conventionnel unifié. Dès lors, et compte tenu de l'objectif d'intérêt général énoncé au paragraphe 17 de la présente décision, la privation d'effet des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent, non des situations propres à cette branche, mais des situations équivalentes à celles régies par la convention collective de la branche de rattachement, ne méconnaît pas le droit au maintien des conventions légalement conclues.
30. En revanche, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues, mettre fin de plein droit à l'application des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent des situations spécifiques à cette branche.
31. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues doit être écarté. Par conséquent, le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit, sous la même réserve, être déclaré conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne les dispositions contestées de l'article L. 2261-34 du code du travail :
32. L'article L. 2261-34 du code du travail précise les conséquences qu'emporte la restructuration des branches sur la capacité des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés, représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion, à prendre part à la négociation collective au sein de la nouvelle branche. Ses deux premiers alinéas prévoient que ces organisations conservent la possibilité de négocier jusqu'à la prochaine mesure de la représentativité suivant la fusion. Son troisième alinéa dispose, quant à lui, que, pour l'application des règles de validité de la conclusion ou de l'extension d'une convention de branche, l'audience de ces organisations est appréciée au niveau de la branche issue de la fusion.
- S'agissant des dispositions contestées du troisième alinéa de l'article L. 2261-34 :
33. Les dispositions contestées du troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du code du travail prévoient que, même avant la prochaine mesure de leur audience, le poids de chacune des organisations d'employeurs et de salariés admises à négocier s'apprécie, pour la conclusion de l'accord ou pour son extension, au niveau de la branche issue de la fusion. S'il en résulte une dilution du poids relatif de ces organisations, ces dispositions garantissent que les nouvelles stipulations conventionnelles soient définies par les partenaires sociaux en tenant compte de leur niveau de représentativité à l'échelle de la nouvelle branche, plutôt qu'en fonction de leur poids dans les anciennes branches.
34. Par conséquent, les mots « de la fusion » figurant au troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du code du travail ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles résultant des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
- S'agissant des dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34 :
35. Lors de la mesure de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés faisant suite à une fusion de branches, certaines des organisations qui, dans les branches fusionnées, étaient représentatives, au sens des articles L. 2122-5 et L. 2152-1 du code du travail, sont susceptibles de ne plus l'être dans la nouvelle branche. Cela les prive notamment, pour les organisations de salariés, de la possibilité de signer une convention de branche ou de s'y opposer et, pour les organisations d'employeurs, de la faculté de s'opposer à l'extension d'une telle convention.
36. Toutefois, de telles conséquences sont conformes à l'objet des règles de représentativité syndicale, qui visent, s'agissant des syndicats de salariés, à assurer que la négociation collective soit conduite par des organisations dont la représentativité est notamment fondée sur le résultat des élections professionnelles. En outre, la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n'impose pas que toutes les organisations syndicales de salariés et toutes les organisations professionnelles d'employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience.
37. Dès lors, le fait de priver les organisations syndicales de salariés représentatives dans les anciennes branches de la possibilité de signer l'accord de remplacement ou une nouvelle convention de branche lorsqu'elles ont perdu leur représentativité dans la nouvelle branche ne méconnaît pas la liberté contractuelle et le droit au maintien des conventions légalement conclues. Il en va de même, en cas de perte de représentativité, de la faculté pour les organisations professionnelles d'employeurs de s'opposer à l'extension de l'accord de remplacement.
38. En revanche, dans le cas particulier où les organisations représentatives dans chacune des branches fusionnées ont, dans le délai de cinq ans, entamé la négociation de l'accord de remplacement avant la mesure de l'audience suivant la fusion, les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34, applicables tant aux organisations d'employeurs que de salariés, pourraient aboutir si ces organisations ne satisfaisaient plus aux critères de représentativité à l'issue de la nouvelle mesure de l'audience, à les exclure de la négociation alors en cours. Or, d'une part, la participation de ces organisations à la négociation de cet accord garantit la prise en compte des spécificités de chacune de ces branches. D'autre part, la fusion peut conduire à remettre en cause les stipulations des conventions des branches fusionnées régissant des situations équivalentes.
39. Par conséquent, les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34 ne sauraient, sans méconnaître la liberté contractuelle, être interprétées comme privant les organisations d'employeurs et de salariés, en cas de perte de leur caractère représentatif à l'échelle de la nouvelle branche à l'issue de la mesure de l'audience suivant la fusion, de la possibilité de continuer à participer aux discussions relatives à l'accord de remplacement, à l'exclusion de la faculté de signer cet accord, de s'y opposer ou de s'opposer à son éventuelle extension.
40. Sous cette réserve, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doivent donc être écartés. Les mots « la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2261-34, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
41. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
42. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe 24. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 42 de cette décision.
Article 3. - Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- sous la réserve énoncée au paragraphe 30, le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- sous la réserve énoncée au paragraphe 39, les mots « la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2261-34 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi du 8 août 2016.
Article 4. - Sont conformes à la Constitution :
- le premier alinéa, les 1°, 2°, 3° et 5° et le douzième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ;
- les mots « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- les mots « de la fusion » figurant au troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi du 8 août 2016.
Article 5. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 29 novembre 2019.